Observations finales du rapport initial de la Mauritanie adoptées par le Comité lors de sa cinquantième session (6-31 mai 2013)
Comité contre la torture
Observations finales du rapport initial de la Mauritanie adoptées par le Comité lors de sa cinquantième session (6-31 mai 2013)
VERSION AVANCÉE NON ÉDITÉE
1. Le Comité a examiné le rapport initial de la Mauritanie (CAT/C/MRT/1) à ses 1138e et 1141e séances (CAT/C/SR.1138 et 1141), les 8 et 10 mai 2013, et a adopté les observations finales ci-après à sa 1160e séance (CAT/C/SR.1160) le 27 mai 2013.
A. Introduction
2. Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la Mauritanie. Il note toutefois qu’il n’est pas complètement conforme aux lignes directrices du Comité en matière de présentation de rapports, et regrette qu'il ait été soumis par l’État partie avec sept ans de retard.
3. Le Comité est également satisfait du dialogue ouvert qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, ainsi que des réponses données oralement pendant l’examen aux questions posées par les membres du Comité, tout en regrettant toutefois l’absence de représentants de tous les ministères compétents.
B. Aspects positifs
4. Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :
a) Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le 17 novembre 2004;
b) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le 17 novembre 2004;
c) Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le 22 juillet 2005;
d) La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 22 janvier 2007;
e) Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 23 avril 2007;
f) La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 3 avril 2012;
g) Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 3 avril 2012;
h) La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 3 octobre 2012;
i) Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 3 octobre 2012.
5. Le Comité prend note avec satisfaction des efforts entrepris par l’État partie pour réviser sa législation, notamment l'adoption de :
a) La loi n°2003-025 du 17 juillet 2003 portant répression de la traite des personnes;
b) L’Ordonnance n°2005-015 du 5 décembre 2005 portant protection pénale de l’enfant ;
c) L'Ordonnance n°2007/36 du 17 avril 2007 portant Code de procédure pénale;
d) La loi no 2007-042 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes ;
e) La loi du 22 janvier 2010 relative au trafic illicite des migrants;
f) L'arrêté du Ministère du travail de 2011, règlementant l'emploi des domestiques de maison des deux sexes, et incriminant les formes qui enfreignent les lois régissant le travail, notamment les différentes conventions ratifiées par la Mauritanie et le Code du travail mauritanien.
6. Le Comité se félicite en outre de la coopération de l’État partie avec la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, et avec le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie, et de l’intolérance qui y est associée.
C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations
Définition et incrimination de la torture
7. Le Comité demeure préoccupé que plus de huit ans après son adhésion à la Convention, l’État partie n’ait toujours pas adopté de disposition pénale qui définisse et criminalise explicitement la torture comme infraction pénale autonome, et que les actes de torture ne puissent être sanctionnés qu'en tant que coups et blessures volontaires, ou homicide involontaire (art.1er et 4). Malgré l'information communiquée oralement par la délégation de l’Etat partie, selon laquelle une loi adoptée en mars 2013 criminaliserait en son article 1er la torture et l’esclavage, et érigerait ces infractions en crime contre l'humanité, le Comité demeure préoccupé qu'en l'absence de promulgation de la loi précitée, un vide juridique propice à l'impunité perdure (art.1er, 4 et 14).
(a) Le Comité recommande à l’État partie d’amender son Code pénal, afin d’y insérer une définition de la torture qui intègre tous les éléments de la définition de la torture contenus dans l’article premier de la Convention, ainsi que des dispositions incriminant et sanctionnant les actes de torture par des peines proportionnées à leur gravité;
(b) L’État partie devrait accélérer le processus de réforme législative et prendre les mesures nécessaires pour promulguer et publier la loi de mars 2013 susmentionnée, afin de combler ce vide juridique actuel. Il devrait en outre déployer tous les efforts voulus pour diffuser largement cette loi, et veiller à ce qu’elle fasse l’objet d’une formation spécifique du personnel de sécurité et du personnel chargé de l’application des lois.
Allégations de torture et mauvais traitements
8. Le Comité a pris note avec satisfaction de l'article préliminaire de l'Ordonnance n°2007-36 (portant révision de l'Ordonnance n°83-63 du 9 juillet 1983 portant institution d'un code de procédure pénale), qui dispose que « l'aveu obtenu par la torture, la violence ou la contrainte n'a pas de valeur », ainsi que de l’information selon laquelle la Cour suprême aurait rejeté en 2007 des aveux obtenus sous la torture, dans le procès dit des « salafistes », permettant des réductions de peine, et l'acquittement de certains accusés. Le Comité relève cependant que cette information indique que la torture et les mauvais traitements sont pratiqués en détention, y compris dans des lieux de détention non officiels. Tout en prenant note du fait que l'article 5 de la Loi n°2010-07 du 20 janvier 2010 portant statut de la police prohibe l'infliction de « traitements cruels ou dégradants constituant une violation des droits de la personne », le Comité est particulièrement préoccupé par des informations crédibles qu’il a reçues, selon lesquelles depuis 2009, au moins deux détenus seraient décédés suite à des actes de torture (art. 2, 11, 15 et 16).
L’État partie devrait :
a) Donner des instructions claires et formelles aux responsables des forces de sécurité (police et gendarmerie) sur la prohibition absolue de la torture, sa pénalisation et sur le fait que de les auteurs de tels actes seront poursuivis et punis par des sanctions proportionnelles à la gravité du crime;
b) Prendre des mesures efficaces pour que soient menées sans délai des enquêtes pénales approfondies, indépendantes et impartiales sur toutes les allégations de torture et mauvais traitements reçues, déférer les auteurs de ces actes à la justice, qui devrait les punir par des peines appropriées ;
c) Prendre toutes les dispositions nécessaires pour s'assurer que les aveux obtenus sous la torture ne soient pas admis comme preuve contre les auteurs des aveux, durant l’enquête et le procès;
(d) Sensibiliser les magistrats quant à l’obligation d’ouvrir des enquêtes lorsque des allégations de torture sont portées à leur connaissance.
Application directe de la Convention par les juridictions internes
9. Bien qu'ayant noté avec intérêt le fait que la Convention puisse être directement invoquée devant les juridictions internes de l'Etat partie, et bénéficie d'un statut hiérarchiquement supérieur aux lois nationales, le Comité demeure préoccupé par l'information selon laquelle en l'absence d'une infraction pénale autonome, les actes de torture ne peuvent être sanctionnés qu'en tant que coups et blessures volontaires, ou homicide involontaire. Le Comité regrette en outre l’absence d’informations sur des affaires dans lesquelles la Convention aurait été appliquée par les tribunaux de l’État partie ou invoquée devant eux (art. 2).
L’État partie devrait incorporer les obligations prescrites par la Convention dans son ordre juridique interne. Il devrait en outre veiller à ce que les agents de l’État, les juges, les magistrats, les procureurs et les avocats reçoivent une formation sur les dispositions de la Convention de manière à leur permettre d’en appliquer directement les dispositions, et de faire valoir les droits qui y sont inscrits devant les tribunaux de l’État partie.
Garanties juridiques fondamentales
10. Le Comité est particulièrement préoccupé du fait qu'en vertu de l'article 57 du Code de procédure pénale, la durée de la garde à vue en matière de crimes terroristes et des atteintes à la sûreté de l'Etat est de 15 jours, renouvelables deux fois sur ordre du Procureur, d'autant que les gardés à vue ne disposent d'aucune voie de recours pour contester la légalité de leur détention. Enfin, le Comité est particulièrement soucieux que l’article 3 de la Loi n°2005-047 du 26 juillet 2005, relative à la lutte contre le terrorisme définit le terrorisme de manière large et imprécise, comme tout acte déstabilisant ou détruisant les valeurs fondamentales de la société et les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales de la Nation (art. 2).
L’État partie devrait :
a) Prendre immédiatement des mesures efficaces afin de veiller à ce que toute personne privée de liberté bénéficie de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de sa garde à vue, à savoir :
(i) le droit d’être informé des motifs de son arrestation ;
(ii) d’avoir rapidement accès à un conseil légal indépendant dès le début de la privation de liberté et, le cas échéant, à une aide juridictionnelle ;
(iii) L’assurance de pouvoir se faire examiner par un médecin indépendant, et de contacter un membre de sa famille ; et
iv) la possibilité d’être présenté sans délai à un juge et de faire examiner par un tribunal la légalité de sa détention, conformément aux normes internationales ;
b) Libérer et indemniser toutes les personnes détenues arbitrairement ;
c) Abolir le délai de garde à vue de 15 jours, en matière de crimes terroristes et des atteintes à la sûreté de l’Etat, et y substituer un délai qui n'excède pas 48 heures ;
d) Amender la Loi n°2005-047 relative à la lutte contre le terrorisme pour en restreindre la portée, de manière à ce qu’elle n’occasionne pas de détentions arbitraires et de traitements prohibés par la Convention.
Détention au secret et disparitions forcées
11. Le Comité s'inquiète d'allégations reçues quant à la pratique de la détention au secret, qui constitue le terreau de la pratique de la torture et des disparitions forcées.
L'Etat partie devrait:
a) Garantir la tenue à jour d’un registre des personnes privées de liberté, qui soit mis à la disposition de toute autorité judiciaire compétente, et qui comprenne:
(i) L’identité de la personne privée de liberté ;
(ii) La date, l’heure et l’endroit où la personne a été privée de liberté et l’identité de l’autorité qui a procédé à la privation de liberté ;
(iii) Les motifs de la privation de liberté;
(iv) L’autorité en charge de la détention ;
(v) Les éléments relatifs à l’état de santé de la personne privée de liberté ;
(vi) En cas de décès pendant la privation de liberté, les circonstances et les causes du décès et la destination de la dépouille de la personne décédée ; et
(vii) La date et l’heure de la libération ou du transfert vers un autre lieu de détention, la destination et l’autorité chargée du transfert;
b) Adopter promptement, dans sa législation nationale, une définition du crime de disparition forcée ;
c) Prendre des mesures efficaces pour que soient menées sans délai des enquêtes pénales approfondies, indépendantes et impartiales sur toutes les allégations de torture et mauvais traitements reçues, déférer les auteurs de ces actes à la justice, qui devrait les punir par des peines appropriées.
Ordre d’un supérieur
12. Tout en prenant acte du Décret portant Code de déontologie de la police nationale, l'obéissance au chef hiérarchique relative à la commission d'actes de torture est « passible de sanctions administratives, sans préjudice des peines prévues par la loi », et l’information communiquée oralement, selon laquelle l'article 14 de la Loi n°2010-07 portant statut de la police « subordonne l'obligation d'obéissance hiérarchique au cadre législatif et réglementaire », le Comité demeure préoccupé du fait que ces dispositions ne se limitent qu’aux forces de police. De plus, ces dispositions n'offrent pas de système de protection formelle contre les représailles à un subordonné qui refuserait l’ordre du supérieur de commettre un acte de torture (art. 2).
L’État partie devrait veiller, dans ses lois et dans la pratique, à ce que l’exécution d’un tel ordre ne constitue pas une justification de la torture, en conformité avec le paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention. L’État partie devrait en outre mettre en place un système assurant une protection contre les représailles envers un subordonné qui refuserait de suivre l’ordre d’un supérieur, qui est contraire à la Convention.
Commission nationale des droits de l’homme
13. Le Comité note avec satisfaction la création, en 2006, de la Commission nationale des droits de l’homme, dotée du Statut A des principes de Paris depuis 2011. Le Comité est satisfait de la possibilité pour la Commission d'entreprendre des visites inopinées de tous les lieux de détention au sein de l'Etat partie, assortie de la formulation de recommandations aux autorités compétentes (art. 2).
L’État partie devrait fournir les ressources financières et humaines requises par la Commission pour s’acquitter de son mandat, diffuser ses recommandations, et renforcer son indépendance, en pleine conformité avec les principes Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale).
Mécanisme national de prévention de la torture
14. Le Comité note que l’État partie doit établir un mécanisme national de prévention suite à sa ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 2).
L’État partie devrait prendre les mesures appropriées, en consultation avec toutes les parties prenantes, afin d’établir un mécanisme national de prévention en conformité avec l’article 3 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention d'ici octobre 2013, et de lui fournir les ressources financières et humaines suffisantes pour lui permettre d’accomplir ses fonctions efficacement et en toute indépendance, conformément aux articles 3 et 17 du Protocole facultatif et aux Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention (CAT/OP/12/5) .
Indépendance du pouvoir judiciaire
15. Le Comité est préoccupé par des allégations crédibles reçues, faisant état de pressions et d’instrumentalisation du système judiciaire. L’article 89 de la Constitution de 1991, selon lequel le Président de la République est « garant de l’indépendance de la magistrature », et préside le Conseil supérieur de la Magistrature ne fait que renforcer cette préoccupation. Le Comité s’inquiète de l’absence de garantie d’une indépendance effective du corps judiciaire (art. 2).
L’État partie devrait :
a) Garantir la pleine indépendance de la justice, en accord avec les Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la magistrature (résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 de l’Assemblée générale);
b) Prendre des mesures appropriées afin de garantir et de protéger l'indépendance du pouvoir judiciaire, et garantir que son fonctionnement est dépourvu de pressions et d'ingérence du pouvoir exécutif;
c) Fournir aux tribunaux et aux magistrats l’appui nécessaire, notamment les ressources humaines, techniques et financières, afin qu’ils puissent remplir leurs fonctions en toute indépendance;
d) Etablir un organe indépendant compétent pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire;
e) Inviter la Rapporteur spéciale sur l'indépendance des juges et des avocats à visiter l’Etat partie.
Non-refoulement, migrants, réfugiés et demandeurs d’asile
16. Le Comité prend note avec satisfaction du fait qu’un nouveau titre, introduit dans le Code de procédure pénale en 2011, exclut l’extradition si l’extradé risque d’être soumis à la torture dans l’état requérant. Le Comité se félicite également que l’Etat partie ait ouvert ses frontières aux populations déplacées maliennes, depuis l’éruption de violence au nord mali en janvier 2012. Le Comité a pris note de l’information relative aux accords signés par l’Etat partie avec l’Espagne pour la lutte contre l’immigration irrégulière, et se déclare préoccupé par le risque de confusion entre demandeurs d’asile et migrants en situation irrégulière, qui pourrait aboutir à des détentions arbitraires, et à la violation du principe de non refoulement. Le Comité regrette également l’absence d’information sur les décisions qui traduisent effectivement l’obligation de respecter le principe de non-refoulement qui incombe à l’Etat partie en vertu de l’article 3 de la Convention dans le cadre de procédures d’extradition, mais également de migration et d’asile (art. 2 et 3).
Le Comité recommande à l’État partie de :
a) Veiller à ce qu’aucune personne, y compris en situation irrégulière de séjour sur son territoire, ne soit expulsée, extradée ou refoulée vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture, et s’assurer que les décisions adoptées soient prises à la suite d’un examen individuel, et que les personnes concernées puissent avoir la possibilité de faire appel de ces décisions ;
b) Garantir à toute personne détenue en rapport avec la lutte contre l’immigration clandestine l’accès à un recours judiciaire effectif pour contester la légalité des décisions administratives relatives à sa détention, son expulsion ou son refoulement, le cas échéant ;
c) S’assurer que la détention de demandeurs d’asile n’est utilisée qu’en dernier ressort, et, quand nécessaire, pour la durée la plus courte possible, en s’appuyant sur des mesures alternatives à la détention ;
d) Délivrer aux Mauritaniens expulsés dans le passé, et rapatriés, ainsi qu’aux membres de leur famille, des documents d’identité.
Formation
17. Tout en prenant note des multiples formations, y compris dans le domaine des droits de l’homme, organisées au bénéfice des membres des services de sécurité, le Comité est préoccupé par l’absence de formation en ce qui concerne la Convention contre la torture et notamment l’interdiction absolue de la torture, prévue pour les policiers, gendarmes, officiers de la police judiciaire, agents pénitentiaires ainsi que le personnel chargé de l’application des lois comme les juges, procureurs, et avocats. Il se soucie aussi du fait que le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul, 1999) ne semble pas être utilisé systématiquement dans l’examen des cas de torture ou mauvais traitements (art. 10).
Le Comité recommande à l’État partie :
a) De mettre en œuvre des programmes de formation et d’élaborer des modules sur les droits de l’homme pour assurer que le personnel de sécurité et le personnel chargé de l’application des lois soient pleinement exposés aux dispositions de la Convention, et notamment de l’interdiction absolue de la torture;
b) De dispenser de manière régulière et systématique au personnel médical, aux médecins légistes, juges et procureurs et à toutes les autres personnes qui interviennent dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné, ainsi qu’aux autres personnes participant aux enquêtes sur les cas de torture, une formation sur le Protocole d’Istanbul;
c) D’élaborer et de mettre en œuvre une méthodologie permettant d’évaluer l’efficacité des programmes d’éducation et de formation sur la Convention contre la torture et du Protocole d’Istanbul, et leurs effets sur la diminution des cas de torture et de mauvais traitements.
Enquêtes
18. Le Comité est gravement préoccupé par le manque d’informations relatives aux poursuites des auteurs d’actes de torture. Il s’inquiète de l'absence patente de données statistiques relatives au nombre de plaintes pénales enregistrées pour actes de torture, et aux enquêtes et condamnations qui auraient été menées à la suite de telles plaintes, ce qui suggère qu’aucun tribunal n’ait pu à ce jour appliquer directement les dispositions de la Convention, à défaut de textes les incriminant et les punissant. Le Comité s’inquiète d’allégations reçues, selon lesquelles les autorités compétentes de l’Etat partie ont tardé à diligenter des enquêtes devant des cas d’allégations de torture signalés en 2011 et 2012 à Nouakchott, Kaédi, et Ould Yengé. Le Comité est également gravement concerné par l’insuffisance d’information quant au cas de Hassane Ould Brahim, détenu à la prison civile de Dar Naïm, à Nouakchott, qui serait décédé en octobre 2012 après avoir été torturé par les gardes pénitentiaires (art. 12 et 13). L’État partie devrait :
a) Mettre fin à la torture et aux traitements inhumains et dégradants, et veiller à ce que les allégations de torture, de mauvais traitements ou d’usage excessif de la force par la police et les forces de sécurité fassent rapidement l’objet d’enquête, de poursuite et de condamnations, le cas échéant, à des peines proportionnées à la gravité des actes en question , conformément à son engagement lors de l’Examen périodique universel en novembre 2010;
b) Inclure l’imprescriptibilité du crime de torture dans le Code penal ;
c) Fournir au Comité des informations détaillées sur les enquêtes menées sur le décès de Hassane Ould Brahim survenu en octobre 2012 à la prison de Dar Naïm, aisi que les suites qui ont été données à ces enquêtes.
Amnisties et impunité
19. Le Comité s’inquiète que la Loi n°92-93 du14 juin 1993 accorde une amnistie totale aux membres des forces armées et de sécurité. En particulier, le Comité demeure préoccupé de l’approche adoptée par l’Etat partie, confirmée oralement par sa délégation, vis-à-vis des demandes de certaines victimes et de leurs ayant-droits qui ne souhaiteraient pas se prévaloir des mesures d’indemnisations envisagées, au profit d’une action judiciaire civile en réparation, et que l’Etat partie a considéré comme inopportunes (art. 2, 12, 13 et 14).
Faisant référence à son Observation générale n° 3 (CAT/C/GC/3), le Comité recommande à l’État partie devrait:
(a) Amender la Loi d'amnistie n° 92-93, et mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l’impunité des auteurs d’actes de torture, y compris en permettant l’accès à des recours effectifs aux victimes et leurs ayants-droits,
b) Assurer la protection des victimes et de leurs familles cherchant réparation contre d’éventuelles représailles ou intimidations.
Réparation et réadaptation des victimes de torture
20. Le Comité est préoccupé par le fait que la législation actuelle ne contient aucune disposition garantissant la réparation des préjudices causés aux victimes de torture. Le Comité s’inquiète en outre du fait que certaines formes de réparation d’inspiration religieuse, tel le Ghissass, qui consacre la loi du Talion, et qui est envisagé dans les articles 285 et 286 du Code pénal, constitue lui-même de la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 2, 12, 13, 14 et 16).
L’État partie devrait:
a) Prendre des mesures législatives et administratives pour garantir aux victimes de torture et de mauvais traitements la réparation, y compris des mesures de restitution, d’indemnisation, de réadaptation, de satisfaction et de garantie de non-répétition, et les introduire dans la législation pénale ;
b) Amender le Code pénal de façon à supprimer les références à la peine de Ghissass; A cet égard, le Comité attire l’attention de l’État partie sur la Recommandation générale n° 3 sur l’article 14 récemment adopté qui explicite le contenu et la portée des obligations des États parties en vue de fournir une réparation totale aux victimes de torture.
Mise en œuvre de l’interdiction des pratiques esclavagistes
21. Tout en prenant acte de l'information fournie par la délégation de l'Etat partie, selon laquelle 15 plaintes sont actuellement examinées par des instances judiciaires de l'Etat partie pour des cas présumés d'esclavage tombant sous le coup de la Loi no 2007-042 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, le Comité regrette l’absence d’information statistique quant à nature et l’incidence de l’esclavage. Le Comité est également préoccupé que les décisions de justice adoptées dans ces cas aboutissent généralement aux infractions relatives au travail des mineurs ou à des questions relatives à la propriété, de sorte que le crime d’esclavage est vidé de tout contenu sur le plan juridique. Par ailleurs, la Loi de 2007 n’intègre pas la dimension de discrimination intrinsèque à cette pratique. Le Comité fait également écho à la préoccupation de la Rapporteur spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, qui avait pu constater que la Loi ne pouvait être invoquée que dans le cadre de poursuites pénales contre les propriétaires d’esclaves, et reposait donc entièrement sur le bon vouloir de la police et du Ministère public, sans possibilité pour les victimes de se constituer partie civile afin d’obtenir réparation (art. 1, 2 et 16).
L’État partie devrait:
a) Inclure dans le Code pénal une disposition définissant, et incriminant spécifiquement la discrimination raciale ou ethnique, y compris les pratiques esclavagistes, et qui soit assortie de peines proportionnées à la gravité des actes en question;
b) Inclure, dans la Loi no 2007-042 du 3 septembre 2007 une définition qui inclue toutes les formes d’esclavage, et qui soit assortie de mesures de réparation et de réhabilitation d’anciens esclaves ;
c) Amender la Loi no 2007-042 du 3 septembre 2007, de sorte à permettre aux victimes d’esclavage, ou de pratiques associées, de déclencher l’action du Ministère public en se constituant parties civiles, afin d’obtenir réparation;
d) Sensibiliser les juges, et la profession judiciaire dans son ensemble, à travers des modules de formation spécifique, à la question de la discrimination raciale et à sa judiciarisation, à la lumière des normes internationales;
e) Concevoir une stratégie nationale intégrale contre l’esclavage et la discrimination, y compris les formes traditionnelles et modernes d’esclavage, qui inclue les pratiques des mariages précoces, forcés, la servitude, le travail forcé des enfants, la traite, et l’exploitation des travailleurs domestiques, conformément à son engagement lors de l’examen périodique universel en novembre 2010.
Conditions de détention
22. Tout en prenant acte des efforts consentis par l’Etat partie pour la rénovation de ses établissement pénitentiaires, le Comité demeure préoccupé du fait que les conditions de détention ont été décrites comme en deçà des normes internationales dans l’ensemble des centres de détention, notamment en raison du manque d’hygiène, de ventilation, d’éclairage, de couchage, d’alimentation, et de soins médicaux qui y prévaut. Le Comité s'inquiète également d'allégations reçues relatives à de nombreux cas de détenus malades et une vingtaine de décès en 2010, dont 14 enregistrés à la prison de Dar Naïm. Par ailleurs, tout en prenant note des efforts entrepris par l'Etat partie pour désengorger la prison de Dar Naïm, le Comité s’inquiète du fait qu’une partie des détenus a été transférée vers la prison d’Aleg, où auraient eu lieu en janvier 2013 des protestations de prisonniers contestant leurs conditions de détention (art. 2, 11 et 16).
L’État partie devrait :
a) Redoubler d’efforts et augmenter les fonds alloués pour rendre les conditions de vie dans tous les établissements pénitentiaires conformes aux normes internationales, et à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus [Conseil économique et social de l’Organisation des Nations Unies, résolutions 663 C (XXIV) et 2076 (LXII)] ;
b) Assurer à tous les détenus l’accès à l’eau potable, à au moins deux repas par jour, à l’hygiène et aux produits de première nécessité et à veiller à ce que l’éclairage naturel et artificiel et la ventilation des cellules soient suffisants ; assurer la prise en charge médicale et psychosociale des détenus et prévenir ainsi le nombre de décès en détention ;
c) Réduire la surpopulation carcérale en recourant davantage à des mesures non privatives de liberté, compte tenu des Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;
d) Établir un registre central sur tous les détenus dans le pays indiquant les détails suivants : Le fait qu’ils sont en détention préventive ou détenus suivant une condamnation ; la nature du délit ; leur date d’entrée en détention ; le lieu de détention ; ainsi que leur âge et sexe ;
e) Veiller à ce que les détenus puissent effectivement déposer plainte devant un organe indépendant relativement à leurs conditions de détention et aux mauvais traitements et que ces plaintes fassent l’objet d’enquêtes impartiales, promptes et indépendantes ;
f) Procéder à des enquêtes régulières sur les décès en détention et leurs causes, et fournir au Comité les données statistiques ainsi que les mesures préventives prises par les autorités pénitentiaires dans le prochain rapport périodique ; prendre des mesures afin de réduire la violence entre détenus ;
g) Continuer d’assurer à la Commission nationale des droits de l’homme et aux organisations des droits de l’homme le libre accès à tous les lieux de détention, notamment à travers la conduite de visites inopinées, et d’entretiens privés avec les détenus.
Traite des personnes et violences contre les femmes
23. Le Comité prend note des nombreuses mesures législatives, institutionnelles et de sensibilisation adoptées par l’État partie pour prévenir et combattre la traite des personnes, y compris l’adoption de la Loi n°2003-025 du 17 juillet 2003 portant répression de la traite des personnes. Le Comité demeure toutefois préoccupé par l’insuffisance d’informations quant à la pénalisation du viol ; au nombre de condamnations pour viol ; à la prévalence et traitement de la violence domestique ; à l’ampleur du phénomène de la traite (art. 2, 12, 13, 14, 16).
L’État partie devrait:
a) Veiller à l’application effective, en pleine conformité avec la Convention, de la législation existante pour lutter contre la traite des personnes;
b) Conduire une étude sur l’ampleur réelle de la traite des personnes dans l’État partie et ses causes;
d) Mettre fin à l’impunité en enquêtant de manière régulière sur les allégations de viol, de traite, de violence domestique, en engageant des poursuites contre les auteurs et en les sanctionnant de manière appropriée;
e) Offrir une protection aux victimes, y compris une indemnisation adéquate et une réhabilitation si nécessaire, et renforcer ses campagnes de sensibilisation;
f) Former les enquêteurs et le personnel en contact avec les victimes de la traite, y compris les services d’immigration, et doter les centres d’accueil de ressources suffisantes.
Mutilations génitales féminines
24. Tout en notant les mesures d’ordre institutionnel, et de sensibilisation prises par l’État partie, le Comité reste fortement préoccupé par l’absence de pénalisation de la pratique de mutilations génitales féminines. Il est également préoccupé par l’absence d’informations précises sur les plaintes déposées et les enquêtes menées, les poursuites engagées et les sanctions décidées contre les responsables de ces pratiques (arts. 2, 12, 13, 14 et 16).
Conformément à son engagement lors de l’Examen périodique universel en novembre 2010, l’Etat partie devrait urgemment adopter une loi interdisant les mutilations génitales féminines. L’État partie devrait également faciliter le dépôt de plaintes par les victimes, en menant des enquêtes et en poursuivant et punissant les responsables par des sanctions appropriées, et en fournissant une réparation adéquate, une indemnisation ou une réhabilitation aux victimes. Il devrait également renforcer l’étendue des campagnes de sensibilisation, en particulier auprès des familles, sur les effets néfastes de cette pratique.
Châtiments corporels
25. Nonobstant l’adoption de L’Ordonnance n°2005-015 du 5 décembre 2005 portant protection pénale de l’enfant, qui prévoit des peines d’emprisonnement pour les cas de torture et de barbarie commis contre des enfants, le Comité s’inquiète de ce que les châtiments corporels des enfants ne sont interdits par la loi, et semblent de plus considérés comme une méthode éducative convenable et efficace (art. 16).
L’État partie devrait
(a) Modifier sa législation, et notamment l’Ordonnance n° 2005-015 portant protection pénale de l’enfant, afin d’interdire et de pénaliser explicitement toute forme de châtiment corporel des enfants dans tous les milieux et contextes, y compris la famille, et consacrer le principe d’une éducation sans violence, conformément au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant ;
(b) Conduire des programmes d’éducation, de sensibilisation et de mobilisation du grand public, associant les enfants, les familles, les communautés et les responsables religieux et portant sur les effets néfastes des châtiments corporels, tant sur le plan physique que psychologique .
Collecte de données statistiques
26. Le Comité regrette l’absence de données complètes et désagrégées en terme de plaintes, enquêtes, poursuites et condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents des service de sécurité, y compris les gendarmes, aux policiers, et aux membres de l’administration pénitentiaire. Des données statistiques manquent aussi à propos de la traite des personnes, la violence à l’égard des femmes, notamment la violence familiale et les mutilations génitales féminines (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).
L’État partie devrait établir un organisme indépendant habilité à générer et traiter des données statistiques, désagrégées par âge et sexe de la victime, qui soient utiles pour surveiller l’application de la Convention au niveau national, surtout des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents des service de sécurité, y compris à des gendarmes, des policiers et aux membres de l’administration pénitentiaire et sur les décès en détention. Des données statistiques devraient également être compilées et fournies sur la traite des personnes, sur la violence à l’égard des femmes et sur les mutilations génitales féminines, ainsi que sur les mesures de réparation, notamment l’indemnisation et la réadaptation dont ont bénéficié les victimes.
Autres questions
27. Le Comité encourage l’État partie à envisager de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, par laquelle il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de la part de particuliers. Il invite également l’Etat partie à retirer ses réserves aux articles 20 (enquêtes confidentielles) et 30 (règlement des différends) de la Convention.
28. Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir :
- Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques;
- Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort;
- Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;
- Le Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes; et
- Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés.
29. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.
30. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 31 mai 2014, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations suivantes, formulées aux paragraphes 10 c) ; 22 a), b), ; et 18 a) du présent document, soit : (1) Abolir le délai de garde à vue de 15 jours, renouvelable deux fois, en matière de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, et renforcer les garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus ; (2) améliorer les conditions de détention dans l’ensemble de ses établissements pénitentiaires ; et (3) poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements.
31. Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, d’ici au 31 mai 2017. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, le 31 mai 2014 au plus tard, d’établir son rapport selon la procédure facultative, qui consiste pour le Comité à adresser à l’État partie une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport périodique. Les réponses de l’État partie à la liste de points à traiter constitueront son deuxième rapport périodique au titre de l’article 19 de la Convention.
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021